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16 avril 2020

"De quauquei fugidas" de Michel Miniussi

 

M

L’association « Les amis de Michel Miniussi » a publié récemment « Quauquei fugidas » , un long texte de jeunesse de Michel Miniussi, édité en bilingue avec une traduction en français de Jean-Claude Forêt.

 

Face à ces temps incertains à bien des égards, socialement bien sûr, anthropologiquement même et pour nous occitanistes, désespérants du fait de notre solitude, il est un grand plaisir que d‘évoquer « Quauquei fugidas ». Nous ferons fi donc de la remise en cause progressive et désormais irréversible semble t-il de l’enseignement de l’occitan dans le cursus de l’enseignement public, rendant grâce à ce que fut l’éclosion d’un nouveau talent de la littérature d’oc : il a surgi de la Provence orientale, il y a plus de 40 ans sous la férule de l’occitanisme littéraire, parmi les plus ambitieux avec un certain Robert Lafont comme mentor.

Michel Miniussi n’avait pas tout à fait vingt ans vers 1974 quand, étudiant en khâgne de Nice, il a mis le pied à l’étrier de la littérature d’oc en jeune prodige doté déjà d’une érudition singulière, parfois peut-être jusqu’à l’arrogance et d’un talent littéraire indéniable qui va assez vite s’affirmer. De ses textes initiaux, retenons ces quelques fuites « Quauquei fugidas » en trois parties, exercice où il se frottera à la créativité littéraire, quête de style aussi… par cette langue encore aujourd’hui si méprisée. Ainsi son initiation de jeune littérateur se fit. Dans ces « quelques fuites » s’affûtent déjà les grandes lignes qui permettront plus tard la réalisation de son roman « Lei passatemps » où se mettra en scène la quintessence de son travail, œuvre de maturation.

Il s’agit bien sûr d’une époque où l’attrait pour la culture ne s’était pas encore totalement étiolé, notamment celle d’oc, moment où les séries désormais à la mode n’avaient pas encore pris le pas sur le cinéma des Pasolini, Fellini ou Bergman, où la poésie n’était pas abandonné par ses lecteurs potentiels.

Découvrir les textes en provençal de ce jeune écrivain aujourd’hui surprend du fait de leur ambition, d’une certaine volonté d’aller vers la virtuosité et aussi en reflet de la vibration d’une époque… et donne du baume au cœur car au-delà de sa connaissance du lexique et de la littérature d’oc déjà parachevée sous la houlette de son mentor Robert Lafont et de ses disciples, voilà la naissance d’une prose élégante sur les traces des grands prosateurs d’expression provençale et plus largement occitane. En outre, comme il est émouvant de découvrir le flou, les hésitations du désir, sachant depuis, le cours du destin, ce que fut la réponse de l’oracle.

Il y a deux citations en page de garde, l’une du poète Pétrarque, grand admirateur d’Arnaud Daniel, le troubadour de Ribérac et l’autre de Philippe Gardy, auteur et critique littéraire contemporain.

« Cette figure de l’univers qui s’enferme sur lui même, qui se construit sur ses propres lois de fonctionnement dans une fuite et à la fois un refus de l’univers des Hommes historiques, peut apparaître comme le signe majeur de l’idéologie de la littérature en pays occitan » dit celle de Philippe Gardy.

Il est émouvant de voir apparaître les prémices d’une vocation littéraire mais pourquoi le choix de cette langue minorisée de la part de ce jeune adulte si peu politisé ? Michel Miniussi dévoile son tempérament d’écrivain, envisageant presque semble t-il la littérature comme voie de salut en pèlerin discret comme pour cultiver sa distance à l’égard du monde, son jardin secret.

« Depuis trois mois déjà, ils fuyaient », ainsi commence ce texte de jeunesse évoquant dès la première page l’église de Vallauris, des figures maghrébines et le marché, le tout pris dans une ambiance onirique. La langue est claire, un provençal bien charpenté, maitrisé mais laissant parfois se prendre dans ses filets quelques mots d’un dialecte voisin, le languedocien comme « espiar » (plutôt qu’agachar )ou « somiar » (plutôt que pantaiar) ou encore le suranné « antau » en provençal et non ansin, populaire dans le provençal parlé à l’époque, tout ceci dans une tradition bien lafontienne. Il s’agit de dériver en rêverie, une divagation où la parole dans cette langue qui se déchire s’ancre en un lieu, « j’ai assez eu cherché pour ne pas trouver. Je m’étais noyé en un jeu de miroirs. » dit-il.

Michel Miniussi poursuit son road-movie pas très loin, Mouans-Sartoux, Grasse, cette Provence si peu présente habituellement dans la prose occitane.

« Dire, tout est là. Le restant se perd au dehors. Je crée en ma tête. Je donne forme à des images qui courent. Je les attrape lorsqu’elles sont fantômes juste nées dans les labyrinthes de mon cerveau. »

Le jeu littéraire se poursuit, volontiers baroque, diapré de prose poétique, nimbé de petits clins d’œil d’érudition avec toujours cette délectation de faire marcher la langue à travers la découverte d’un micro-espace issu d’une connaissance approfondie. Parfois, il conviendra de regarder sous le pli du voile diaphane. Dans « Quauquei fugidas », Michel Miniussi nous invite à moment donné à une sorte d’école buissonnière où comme des gosses espiègles nous quitterions les sempiternelles pesanteurs du réel.

« Le pays ne mourait pas, il oubliait sa propre vie, s’abandonnait. Les brumes matinales effaçaient les formes. Les gouttes de rosée, en suspension aux feuilles et aux branches, étaient aux couleurs un être plus puissant et finalement pas seulement rêvé, fantasmé. »

 

Il y a aussi parfois comme l’écho d’antiques moments de volupté jusqu’à l’impudique, la langue le permet : « Quelques heures ont passé et le soleil a baissé suffisamment pour que l’ombre noie tout, que le froid se fasse sentir sur les peaux trempées d’unesueur nouvelle. Ils se sont habillés à nouveau, se sont retirés les feuilles des cheveux qui les faisaient ressembler à d’antiques divinités agrestes. »

 

Tout fait ventre dans cette prose post-adolescente où culture savante et culture populaire s’entrecroisent : au détour du chapitre « le rat », surgit soudain une de ces devinettes que les paysans adoraient lancer à la cantonade, lors de la veillée ou aux moments de repos : « Qu’est ce ? Qu’est ce que c’est qui est labouré mais où la charrue n’est jamais passée ? »

Pour conclure même si l’on a conscience que souvent il use de la langue d’oc comme d’un paravent, il est très émouvant de se rendre compte qu’à la façon de Frédéric Mistral dès l’écriture de Mireille, il nous livre ici ses premiers émois dans une phraséologie en quête de lyrisme, mais un peu balbutiante :

« Le soleil qui avait baissé le poussait en avant et le rouge du ciel se mêlait sensuellement aussi à celui des lèvres qu’une jeune femme lui offrait, par les portes, en ses bras. Qu’il s’abandonne à sa volonté qui dès maintenant prenait le gouvernail, sur son lit couleur sable si doux. La danse de leurs corps se prolongeait, avec l’éparpillement de ses vêtements comme nuée de corneilles en sa chambre, se mettant en sourdine leurs voix d’étreinte en étreinte et de souffles mêlés se tarissant au plus profond, refusant l’incongru de leur rencontre. »

 

Il est troublant donc et encourageant de lire ce texte d’un jeune homme des années 70 s’élançant avec ferveur dans le sillage des plus grands prosateurs d’oc, une voix fauchée trop tôt qui commençait déjà à trouver son chemin dans sa quête de maturité et son cap déjà bien défini, une voie qui sera parachevée avec « Lei passatemps ».

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