Le rire souffle du nord
Gros carton commercial, le rire souffle du nord, souffle le grand froid, je veux parler bien sûr de -Bienvenue chez les Ch'tis- car depuis quelques décennies, l'esprit déconneur, la galéjade avait perdu le nord, la reprise du Schpountz par exemple avait fait un four contre toute attente. Pagnol en remake, bof ! On est content qu'elle ait retrouvé le nord, la comédie et je n'ai pas boudé mon plaisir devant ce film de Dany Boon. Enfin un film comique français réussi, un film qui ferait rire les pierres, un film enfin en phase avec la France un peu morose...mais toujours aussi une et indivisible, enfin risible, je crois. Pour ceux qui l'on pas vu, rappelons quand même qu'une bonne partie des dialogues sont en ch'ti et que cette histoire banale d'un postier de Salon muté dans le nord semble faire quasi l'unanimité de la rigolade. Ce personnage central du film est d'ailleurs assez représentatif du petit bourgeois français à l'esprit étriqué, pataugeant dans les marécages de la vie conjugale, égoïste jusqu'au cynisme et même jusqu'à la triche...Tout commence en Provence dans les virages perchés de la route des crêtes, du côté de Cap Canaille car Mr le Postier a convaincu son épouse que le moment était venu de déménager vers la mer, Cassis a déjà sa petite ambiance de Côte d'Azur, n'est ce pas ! Mais pour donner le petit coup de pouce nécessaire à sa mutation, notre futur directeur des PTT n'hésitera pas à se faire passer pour un pauvre handicapé moteur. Malheureusement, il se fait pessuguer... Alors, la sanction tombe : radicale, implacable, inéluctable, c'est la mutation disciplinaire dans un bled du nord, trop dur !
Il arrive dans le nord, peuchère, sous des trombes d'eau qui trempent le parebrise et -le plat pays qui est le mien- dans les oreilles, lui qui voulait le soleil et la mer, lui qui déteste le froid, la brume et le crachin. Même si les ficelles du comique sont souvent fastoches (les turpitudes de la vie conjugale avec l'épouse dépressive, les petits à priori entre ceux du nord et ceux du sud, un qui proquo ringard sur l'homosexualité, l'ambiance un peu louf des gens qui picolent ch'ti, un Galabru énorme, gourou terré dans son mas provençal et dont le visage largement zoomé dans le noir, dont le ton très pagnolesque surcaricature l'ethnoptype, des mimiques touchantes d'imbéciles au grand coeur, merci Pagnol ! ), le pari énorme qui consiste à faire rigoler la France a été gagné. Alors là, BRAVO !
Ce film ch'ti qui déjà évoque une France plurielle parle donc de nous aussi, on l'a compris. Quel -nous- ? Eh bien, les provençaux, heu, je veux dire les Occitans, enfin tous ceux qui vivent dans le Sud, vous savez ce sud-est où la croissance démographique est magnifiquement exponentielle depuis plus de trente ans, ce coin ensoleillé où malgré tout, le soleil n'empèche pas aux épouses d'être neu neu, ni à beaucoup d'autres d'ailleurs. Cette Provence fantomatique, finalement qui n'a plus grand chose de provençal (je sais les gens ont le droit au soleil) tellement les provençaux y sont dilués et comme disait Benveniste pour expliquer l'homéopathie avec son idée de mémoire de l'eau, peut-être que malgré tout, il y a une mémoire de la culture d'oc, de la langue et qu'il y en aura toujours une mêrme le jour où il n'y aura plus aucune molécule de provençalité dns les villes et villages de Provence, quel exagérateur... La mémoire de l'oc c'est une recette de caviar, le provençal bien sûr, un panneau en périphérie urbaine qui rappelle à travers un lieu une réalité toponymique -les barjaquets- à Rognac par exemple, un nom de rond-point qui nous dit comme à Aix le nom -Jean de Cabanne-...Ah, la mémoire de l'eau inaltérable !
-Bienvenue chez les Ch'tis- nous parle de la Provence en creux comme un contre-nord, peut-être ? Le comique a été spatialement inversé, renversé, envoyé cul par dessus tête. Jadis, la pagnolade. Laissez venir à moi le public, spectateurs, touristes et demain nouveaux habitants dans ce nord fantastique, ce nord mythique semble nous dire Dany Boon. Quand on voit ce film, on a envie de lui répondre, continue mon collègue, fais nous rêver de convivialité, de bonne humeur devant la baraque à frites, ça nous fera oublié l'ambiance de Paris, la décomposition du lien social, fais renaitre l'espoir autour du couple, une mutation de l'un des conjoints et hop ça fait du bien, ça te ressource un couple, allez, je savais pas...De toutes façons, le couple, ça traverse le temps, l'amour est le plus fort, une bonne mutation soignera donc une bonne déprime, c'est ça la catharsis que permet l'enfer polaire du Pas de Calais. Merci pour la rigolade et bravo encore.
Il y a une trentaine d'année, Claude Alranq, je me souviens, avait monté en solo une pièce de théâtre avec La Carriera, l'histoire d'un postier du sud, bien enraciné en terre d'oc, lui, un de ceux qui ont l'accent. Il était muté à Paris et ce n'était pas si rigolo. Cette pièce disait le déchirement de l'exil. On en gardait après comme un goût amer, beaucoup d'émotions aussi, celles qui viennent des blessures de l'exil, c'était beau aussi... Comme dit Brecht, c'est dans l'exil que l'on retrouve son identité...Depuis, Alranq nous a donné beaucoup d'autres pièces et certaines pleines de verve comique, ouf...J'ai retrouvé le sourire avec Claude Alranq comme Dany Boon !